En France, l’épuisement professionnel est loin d’être anecdotique. Bien au contraire, puisque 34 % des salariées et salariés seraient en burn out, dont 13 % en burn out sévère*. Face à ce phénomène, Jeanne Collin-Vacher, psychologue du travail et des organisations, présente comment les managers peuvent détecter les signes, mieux accompagner les collaborateurs et collaboratrices, et agir concrètement pour éviter la survenue du burn out.
Comment définir l’épuisement professionnel, que l’on connaît aussi sous l’appellation « burn out » ?
Jeanne Collin-Vacher : L’épuisement professionnel est physique, émotionnel et mental. Il se définit par une fatigue extrême que le repos et le sommeil ne parviennent pas à soulager. Le burn out est un phénomène brutal (on dit que la personne tombe en burn out) mais c’est le résultat d’une période d’investissement intense et prolongée, cela s’installe dans le temps.
On compte 6 critères qui prédisposent à l’épuisement professionnel : le sentiment d’injustice et d’iniquité, le climat de travail dégradé, le conflit éthique (l’incohérence entre ses valeurs et la réalité de ce que l’on fait), une charge de travail importante, le manque de reconnaissance, et une impression de perte de contrôle sur son activité. On met souvent en avant la question de la charge de travail mais on sait que d’autres facteurs interviennent dans le processus comme par exemple le sentiment d’un manque de reconnaissance ou de soutien social. Même si la charge de travail est toujours impliquée dans le phénomène d’épuisement, ce n’est rarement la seule raison.
Quels enjeux représentent l’épuisement professionnel pour le manager et l’entreprise ?
D’abord, il s’agit d’un enjeu majeur de santé publique, qui concerne 2,5 millions d’actifs, un sujet dont doit se saisir l’entreprise. Ensuite, avec l’évolution des attentes vis-à-vis du travail, la capacité de l’entreprise à prendre en compte la qualité de vie au travail et le bien-être des salariés constitue un réel enjeu stratégique en matière d’attractivité et de rétention. Se préoccuper de la santé des salariés n’est plus une option, c’est un enjeu fort en matière d’image de marque pour un employeur.
D’autre part, agir contre l’épuisement professionnel constitue un levier de prévention contre l’absentéisme. C’est donc une variable importante sur laquelle une entreprise peut agir pour développer la productivité et la performance.
Comment se manifeste l’épuisement au travail au quotidien ? Quels sont les signaux faibles qui doivent alerter ?
L’épuisement professionnel concerne souvent des personnes très impliquées et engagées dans leur travail, qui n’ont pas de limites à leur engagement, toujours sur le pont avec un besoin d’être reconnu comme efficace.
On sait également qu’une difficulté chez un collaborateur peut se manifester par des changements de comportement et d’habitudes de plus de 2 semaines environ. Le collaborateur ou la collaboratrice peut commencer à travailler le week-end et envoyer des mails en dehors des horaires de travail ou à l’inverse, interagir moins, se mettre en retrait, ne plus déjeuner avec l’équipe, ne plus mettre la caméra lors d’une visio, ou faire preuve de détachement et de démotivation… tous ces signes peuvent être révélateurs d’une potentielle difficulté.
Une succession d’ arrêts maladie de courte durée peut également alerter. C’est souvent le signe d’une personne qui n’arrive pas à récupérer.
Comment le manager peut-il agir face aux premiers signes d’un épuisement professionnel ?
Face à un isolement et à un changement de comportement, je conseille au manager d’aller au contact de la personne concernée, et d’engager la discussion en exprimant ce qu’elle ou il a remarqué. Parfois, cela nécessitera plusieurs échanges, car les personnes en risque d’épuisement professionnel ont tendance à nier leurs difficultés , à dire que ça va aller.
Il est important que le manager rappelle à la personne que c’est son rôle de se préoccuper de sa santé et de ses conditions de travail. Il doit identifier, avec elle, les difficultés rencontrées et mettre en place un plan d’accompagnement permettant d’agir concrètement sur les problématiques soulevées. L’action en pluridisciplinarité est également importante : l’orientation ou la prise de conseils auprès de la médecine du travail ou du responsable RH s’avère importante car le processus reste complexe et il est important que le manager ne reste pas seul face à cette situation. Beaucoup d’entreprises disposent de lignes d’écoute où les membres du personnel sont mis en contact avec des psychologues. Il ne faut pas hésiter également à y recourir.
Un épuisement professionnel dans son équipe signifie-t-il forcément une remise en question plus globale des méthodes de management ? Comment faire évoluer l’entreprise dans le bon sens pour prévenir le phénomène ?
Il faut considérer que le phénomène de burn out est toujours l’expression d’un dysfonctionnement organisationnel, en rester au constat sans agir maintient voire renforce le niveau de risques sur les équipes. Les raisons professionnelles qui ont pu intervenir dans la prise d’arrêt doivent donc être systématiquement interrogées.
En parler : Lorsque l’équipe est confrontée à un arrêt maladie d’un de ses membres pour raison d’épuisement, on observe souvent que le manager ne sait pas comment en parler avec l’équipe, et la question du secret médical rend l’exercice complexe. Il est pourtant essentiel qu’il ou elle organise un temps d’échange pour que tous et toutes puissent, sur les perceptions de chacun, évoquer les potentielles causes dans le travail et identifier des pistes d’actions. Cela envoie le signal que l’on se préoccupe réellement de la situation. Il n’y a rien de pire pour une équipe que de sentir que l’on fait comme si de rien n’était.
Agir sur les problématiques rencontrées : Dans la lignée, il est essentiel que des temps réguliers de discussion avec l’équipe autour du fonctionnement ; ce qui marche bien et les problématiques rencontrées, soit mise en place et dégager des pistes d’actions concrètes dans une logique d’amélioration continue des modes de fonctionnement.
Il est essentiel de co-construire avec les équipes la manière dont on envisage l’organisation du travail. Et cela passe par du dialogue, du dialogue et encore du dialogue !
L’entretien annuel doit également être un temps privilégié d’échange autour du vécu de la personne sur le travail et les potentielles difficultés rencontrées tant sur la charge, que le soutien/climat équipe ou en matière d’équilibre des vies.
Plus globalement, c’est à l’entreprise et à la direction d’en faire un sujet de préoccupation prioritaire. En particulier parce que les managers eux-mêmes sont identifiés comme une population fortement exposée au risque d’épuisement professionnel. Des actions de sensibilisation, des sessions de formation, des temps d’information lors des séminaires et des comités de direction doivent être menés à l’échelle de l’entreprise. Indispensable pour lever les tabous.
Un meilleur suivi de la charge de travail constitue aujourd’hui un enjeu fondamental mais aussi de mettre en place des gardes fous en matière de respect des temps de pause et de déconnexion et de les faire respecter.
Jeanne Collin-Vacher, Psychologue du travail et des organisations et fondatrice d’Écosystème QVT
Retrouver la vidéo de cet interview sur le site de l’APEC
*Étude OpinionWay pour le cabinet Empreinte Humaine (2022).