personnes travaillant sur ordinateurs autour d une table

Fin du télétravail, nous posons-nous les bonnes questions ?

Après avoir vu se déployer massivement le télétravail dans bon nombre d’entreprises du secteur tertiaire en France, on peut observer aujourd’hui une volonté au retour sur site, repris dans les médias suite aux annonces d’Amazon.
Mais nous posons-nous les bonnes questions, ne serait-ce pas plutôt nos modes de fonctionnement et de management qu’il s’agirait de réinterroger, plus qu’une question de présence physique ? Quoiqu’il en soit, des études mettent en avant l’impossible retour en arrière pour les personnes qui travaillent aujourd’hui à distance et la volonté de maintenir ce mode de travail à terme (Apec, 2024). Par ailleurs, il est incontestable que beaucoup d’équipes connaissent actuellement des difficultés pour fonctionner à distance dans la durée, sans des temps réguliers d’échanges directs en présentiel, source de construction des liens permettant ensuite de fonctionner à distance.
S’inscrire dans la continuité des évolutions plutôt que de revenir subitement en arrière..
Quels sont les avantages et les limites du mode hybride, comment trouver le bon dosage et quels sont les leviers et ajustements à engager ?

On observe actuellement que certaines entreprises qui rebroussent chemin en diminuant le nombre de jours de télétravail, voire même qui envisagent un retour des collaborateurs au tout présentiel, au risque de perdre en attractivité (Article France info sur la fin du télétravail annoncée chez Amazon). Une perte de la dynamique collective et des temps de partage, des difficultés d’intégration, le risque d’isolement ou encore l’effacement des frontières pro/perso en constituent les principaux arguments.
Comment consolider cette avancée sociale qui répond aux évolutions et attentes en matière d’équilibre des temps de vies, tout en agissant sur les limites et risques associés (Apec 2023) ?

À la lumière des premiers obstacles observés, voici quelques pistes de réflexion et d’actions :

Tout est une question de dosage

Il est clair qu’un fonctionnement tout distanciel augmente l’apparition de ces risques (ie. Perte de la dynamique collective, isolement notamment), rien ne remplace l’échange et le partage direct. Il apparait que les équipes qui fonctionnent uniquement à distance peuvent rencontrer à terme des difficultés. Un équilibre est donc à construire en ritualisant des journées sur site où toute l’équipe est présente, de manière régulière selon les contraintes de l’activité et de la configuration des équipes (un repère en matière de santé et de performance pourrait être 2 à 3 jours de télétravail par semaine avec 1 journée sanctuarisée sur site où toute l’équipe est présente).

Le lien social est fondamental

Managers et collaborateurs ont à mener de profondes réflexions en matière d’organisation. Les journées sur site doivent aujourd’hui être principalement consacrées à des échanges de qualité et en proximité, à la convivialité et à la construction collective dans des lieux propices aux partages. Ces journées sont déterminantes pour la construction des liens, ciment de l’équipe permettant ensuite de fonctionner à distance et de désamorcer d’éventuelles tensions.

Le management est la clé de voûte

Encore trop considéré comme une activité complémentaire à un métier technique, le management est primordial et sa qualité n’est aujourd’hui plus une option. La capacité à donner du sens, à construire la relation avec chacun et la dynamique collective grâce à des objectifs clairs, des rituels aussi bien collectifs qu’individuels qui correspondent aux besoins, où chaque personne compte dans la réussite du collectif et se sent personnellement considérée vont être déterminants. Une étude de l’Apec (2023) met en avant des exigences qui se complexifient pour les managers, notamment autour de la gestion du collectif. En parallèle, les managers sont de plus en plus attendus sur la prise en compte des demandes individuelles. Par ailleurs, 75% des managers déclarent avoir changé leurs pratiques de management au cours des 2/3 dernières années. Le rôle de manager reste encore insuffisamment considéré aussi bien dans le temps alloué pour l’animation de son équipe que dans le développement des compétences managériales et le suivi des situations rencontrées.

L’intensification des modes de travail reste largement à appréhender

Temps de connexion et temps de travail de plus en plus long, diversité inédite des tâches et des activités dans un quotidien d’interruptions permanentes… La maîtrise de la charge de travail et du numérique constituera sans aucun doute un des défis majeurs pour ces prochaines années. Un moyen très certain de réussir la difficile équation entre la santé et la performance des organisations. Un important travail doit encore être réalisé autour des temps de pause et de déconnexion mais aussi des rythmes de travail.
Une étude récente menée par Ipsos (2024) met en avant des progrès perçus en matière d’autonomie ou de capacité à gérer son temps de travail mais qui se heurtent à une dégradation de la charge de travail, qui elle-même se répercute sur la QVT et à un moindre niveau sur l’équilibre vie privée / professionnelle (effet amortisseur du télétravail ?), aggravé par les tensions actuelles sur les recrutements et le phénomène d’attrition que connaissent aujourd’hui certaines entreprises.

De réelles questions se posent en matière d’intégration et d’acculturation

Face aux problématiques que rencontrent les nouveaux entrants dans un environnement hybride, quelles pourraient être les pistes d’investigation ? Ce qui est sûr c’est que la compréhension des codes, des normes et modes de fonctionnement de l’entreprise, mais aussi la construction des liens collectifs prend du temps et s’entretient au quotidien. Ne faut-il pas repenser les parcours d’intégration et aussi renforcer le temps de présence durant la période d’acculturation au regard de ces enjeux ?
La littérature sur la socialisation organisationnelle, qui s’intéresse à la façon dont l’individu devient un membre performant de son organisation, met en évidence l’importance des dispositifs de formation, soutien au développement de réseaux, tutorat et la facilitation de l’accès aux informations. Ces dispositifs sont des leviers à la fois de performance organisationnelle et de santé au travail (2).
En complément, l’insertion dans le monde du travail étant de plus en plus complexe avec un rapport au travail qui évolue fortement, un enjeu important va être d’accélérer la transmission des normes et codes de l’équipe et de l’entreprise aux nouveaux entrants, et qui par conséquent restent implicites (3).

Une boucle d’amélioration continue pour construire et ajuster les modes de fonctionnement

Nous vivons aujourd’hui un contexte inédit dans les entreprises, nous sommes en train de réinventer les modes de travail, nous construisons en marchant nos modes de fonctionnement et de relations. Dans ce cadre, il apparait important de se requestionner régulièrement en équipe autour des modes de fonctionnement (les points positifs et bonnes pratiques à maintenir, problématiques à traiter et pratiques à faire évoluer, pertinence des rituels mis en place…). Regarder régulièrement dans le rétroviseur avec l’équipe permet de mieux aller de l’avant, en ajustant régulièrement les modes de fonctionnement dans une logique d’amélioration continue.

  1. Pas de retour en arrière envisageable pour les cadres (Apec, 2024)
  2. Socialisation organisationnelle. Psychologie du Travail et des Organisations, (SAUVEZON, C, 2019)
  3. La stratégie du Poulpe (Emmanuelle Joseph-Dailly, 2021)

Jeanne Collin-Vacher, Psychologue du travail et des organisations
Fondatrice Écosystème QVT